25 janvier 1944 : A Dijon, arrestation de Pierre Argoud, responsable d’une antenne du réseau Jean-Marie Buckmaster dans l’Aillantais

Pierre Argoud

Pierre Argoud est né le 25 mai 1899, à Fleury-la-Vallée. Fils d’Henri Argoud, vétérinaire et maire d’Aillant-sur-Tholon de 1925 à 1929, Pierre réussit en 1917 la première partie de son baccalauréat. En avril 1918, il décide brusquement de s’engager sur le front. De retour à la vie civile, il intègre l’école vétérinaire de Lyon et obtient son diplôme en 1923. Argoud prend la succession de son père et se marie avec Andrée, professeur d’anglais. Le couple a une fille, Raymonde-Denise. Après la perte d’un fils à l’âge de quatre mois, le jeune vétérinaire se plonge à corps perdu dans son activité professionnelle. Sa renommée dépasse largement les limites du canton. « Véritable force de la nature, il  était capable de coucher tout seul un cheval…» Sa clientèle s’étend de Toucy à la forêt d’Othe. Pierre Argoud passe pour un homme volontaire, reconnu et respecté de tous.

Après sa démobilisation, Argoud, de retour à Aillant-sur-Tholon en septembre 1940, reprend son activité de vétérinaire. Parallèlement, il participe à certains spectacles organisés par le Secours national en faveur des prisonniers de guerre. Patriote, profondément blessé par la défaite, Pierre Argoud supporte difficilement la présence allemande sur le sol français. Mais il partage les idées de Pétain. Ce sont les événements de novembre 1942, avec l’occupation totale de la France par les troupes allemandes, qui constituent l’élément déclencheur de l’engagement de Pierre Argoud dans la Résistance. 

Au début du mois de février 1943, Alain de la Roussilhe sollicite Pierre Argoud sur les quais de la gare à Joigny. Cette rencontre est décisive. Malgré son jeune âge, de la Roussilhe réussit à convaincre Argoud de créer et d’organiser une antenne du réseau Jean-Marie Buckmaster dans la région. De la Roussilhe n’ignore pas que le vétérinaire aillantais jouit de toute la considération du monde paysan. Alphonse Créneau, Jean Brochot, Marcel Gallet, André Vautrin, Bernard Garache, Jean Gaufillet, G. Jack, A. Renaud, Huchard, Alfred et Jean Cameau ainsi qu’Henri Boutron deviennent des compagnons sûrs et dévoués qu’Argoud peut solliciter à tout moment. C’est d’ailleurs dans l’arrière-salle du café Boutron qu’ont lieu les premières réunions entre résistants sédentaires aillantais. 

Monument Aillant-sur-Tholon

Dans la nuit du 22 au 23 juillet 1943, le groupe réceptionne un parachutage sur la commune de Chassy. Le 23 août, Argoud est chargé d’en réceptionner un second à Piffonds. Pierre Argoud multiplie les contacts avec de nombreux groupes de résistance dont celui créé par Irène Chiot à Epizy. Ensemble, ils réceptionnent le parachutage du 16 septembre à Volgré au lieu-dit Les Tuileries. Argoud rencontre également plusieurs fois Paul Herbin, responsable du groupe Bayard. Enfin, il intègre le réseau Bordeaux-Loupiac, étant chargé de cacher des aviateurs alliés chez des fermiers. C’est ainsi qu’Alphonse Créneau, cultivateur à Chassy, héberge à de nombreuses reprises des aviateurs, appelés « colis ». En revanche, il n’a que de très rares contacts avec la résistance communiste, cette dernière étant très méfiante envers Argoud, suspecté d’anticommunisme. 

L’activité résistante d’Argoud n’échappe pas à l’occupant. Il manque singulièrement de discrétion, tenant en public des propos anti-allemands. A la fin de l’année 1943  il est même obligé de quitter Aillant-sur-Tholon. Il se réfugie à Coulanges-la-Vineuse où il passe dans la clandestinité sous le pseudonyme de « Paul Ailleret ». Le 25 janvier 1944, accompagné d’un résistant jovinien, René Couhier, Pierre Argoud transporte des munitions destinées à un maquis jurassien. Après une halte à Dijon, les deux hommes sont reconnus et dénoncés par Marius Guillemand (« Etienne »), qu’Argoud avait rencontré quelques mois auparavant chez Jean Marot, et qui était passé au service de la Gestapo depuis son arrestation à Sens le 13 octobre 1943. 

Plaque Aillant-sur-Tholon

L’enfer commence à la prison de Dijon, cellule 151, où il est torturé. Il est ensuite interné au camp de Royallieu avant d’être déporté à Dachau, le 21 juin 1944. Le 15 juillet, il est transféré à Flossenburg. Pierre Argoud est alors classé déporté « Nacht und Nebel ». A partir du 24 juillet, il intègre une annexe du camp, Herrbrück, où il meurt d’épuisement le 20 octobre 1944. 

L’acte de décès de Pierre Argoud n’est transmis à la mairie d’Aillant-sur-Tholon que le 31 octobre 1946. Entre-temps, le 18 mai 1945, il avait été élu maire jusqu’en 1947. Le 7 février 1946, une association, Les premiers compagnons de Pierre Argoud, se constitue. Rapidement une souscription publique est décidée dans la commune afin d’ériger un monument à sa mémoire. Il est inauguré le 17 novembre 1946. Une plaque commémorative apposée sur la façade de sa maison le 15 décembre 1946 complète l’hommage au résistant déporté aillantais.

 

Sources : Témoignage de Jean Cameau (1999). Témoignage de Jacqueline Fornay, fille d’Henri Boutron (2002). Gavet Jacqueline, Pierre Argoud, édition L’Yonne Républicaine, 1946. Bailly Robert, Si la Résistance m’était contée…, Clamecy, ANACR-Yonne, 1990, 520 p. Noirot Alype-Jean, L’histoire de la vallée d’Aillant-sur-Tholon, Auxerre, 1976, t.4, 248 p.

La Résistance dans l’Yonne, cédérom AERI-ARORY, 2004 (notice biographique de Pierre Argoud, notices sur les parachutages et les autres événements évoqués ici).

Sur la trahison de Marius Guillemand et son activité de gestapiste : Joël Drogland, La répression de la Résistance dans le Sénonais à l’automne 1943, Yonne mémoire n° 50, novembre 2023.

Thierry Roblin

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