Léon Vernis est conduit à la caserne Gémeau où les Allemands interrogent et emprisonnent. Le 10 janvier 1944, alors qu’il était détenu à la prison de Dijon, il parvint à faire passer à son épouse un récit des événements postérieurs à leur séparation. Madame Vernis rédigea une copie de ce document et le remit à un inspecteur de police qui enquêtait sur les actes du lieutenant Eckardt, le 8 janvier 1946. C’est à cet émouvant document que nous empruntons la suite du récit : « (…) Un argousin en civil me lia très fort les mains dans le dos à l’aide de ma ceinture en caoutchouc et en plus d’une ficelle très solide et très coupante. (…) Sous bonne escorte, je fus conduit à la caserne. Ils étaient bien une quinzaine armés jusqu’aux dents et moi j’étais les mains liées et en bras de chemise, ils avaient même pris la précaution de détacher mes bretelles ce qui est bien désagréable. Arrivé dans cet équipage à la caserne, je fus solidement lié à un arbre dans la cour à droite, les jambes et le corps solidement attachés J’ai l’impression qu’il faisait froid cette nuit là. Mais je n’en souffris pas. J’avais la gorge et la bouche complètement sèches. Je liais conversation avec une de mes sentinelles nous réussîmes à nous parler en Anglais. Ce brave type après bien des hésitations alla remplir son casque et me fit boire (…) Je pensais beaucoup à vous me demandant quel triste sort vous était également réservé. Je dois dire aussi que je craignais fort d’attraper une bonne congestion et d’y rester car ces messieurs n’auraient pas été disposés à me soigner.
Bref, le matin après 8h, le sous-officier de garde vint me détacher. J’avais les mains tellement enflées qu’il fut obligé de couper la ceinture et la ficelle. Je dois dire qu’il le fit avec beaucoup de précaution. Inutile de te dire que la circulation du sang ayant été arrêtée, je souffris cruellement des mains, de plus j’avais une plaie à chaque poignet et surtout à la main droite (…) Je fus confronté avec le fameux Etienne et cette confrontation eut lieu tous les jours (…) Je passais une dernière nuit assis sur une chaise dehors (…) Je fus alors conduit sous la menace et les vociférations de ces messieurs dans un sous-sol de la caserne auquel on avait accès par une trappe et un escalier mobile. J’y fus descendu ou plutôt vigoureusement poussé en même temps que les soldats descendaient une espèce de table très haute avec deux brancards (…) Ils me lièrent les pieds, j’avais bien entendu toujours les mains attachées dans le dos. Ils me mirent sur cette table et remontèrent l’escalier et fermèrent la trappe. Je poussai un soupir de soulagement. Je passais ainsi les journées de samedi, dimanche et lundi matin (…) Le lundi vers 10h, je fus conduit comme tu le sais à Auxerre avec mes compagnons de misère (…) Pendant ces quatre jours je n’eus même pas un quart d’eau à boire (…) »
Léon Vernis et ses camarades arrêtés dans le Sénonais sont transférés à Auxerre le 18 octobre puis à Dijon le 29. Le 17 janvier 1944, ils prennent le train, attachés deux par deux, dans des wagons de voyageurs de troisième classe. Ils arrivent à Compiègne et sont conduits au camp de Royallieu. Mme Vernis accompagnée de Mmes Castets, Felser et Prieur louent des chambres dans un hôtel proche et attendent le départ des prisonniers. Louise Vernis peut parler à son mari qui lui semble avoir bon moral. Le 24 janvier 1944, entassés à cent par wagon, ils prennent le chemin de la déportation. Arrivé le 26 au camp de Buchenwald, Léon Vernis est transféré à Dora puis à Elkirch. Il meurt d ‘épuisement le 10 juin 1944 à l’infirmerie du camp d’Hartzunge.
Sources : Arch dép ; Yonne, 1 W 151. Arch. Dép. Côte-d’Or, 40 M 454 (déposition de Mme Vernis et lettre de Léon Vernis du 10 janvier 1944). Témoignage de Mme Vernis (1984). La Résistance dans l’Yonne, cédérom ARORY-AERI, 2004.
Pour en savoir plus : La répression de la Résistance dans le Sénonais à l’automne 1943, in Yonne mémoire n°50, à paraître en novembre 202
Joël Drogland