8 avril 1943 : le passage des vedettes allemandes dans l'Yonne

Un convoi transportant une péniche de débarquement entre Avallon et Cussy-les-Forges. Collection ARORY.

Le débarquement anglo-américain en Afrique du nord, le 8 novembre 1942, fait craindre aux Allemands un autre débarquement sur les côtes sud de la France. Ils entreprennent alors de transférer vers la Méditerranée des vedettes rapides lance-torpilles qui étaient basées sur les côtes de la Manche. Pour éviter un trajet maritime long et dangereux, trop exposé aux attaques aériennes alliées, le long des côtes atlantiques de la France et de l’Espagne puis par le détroit de Gibraltar, ils choisissent d’acheminer ces vedettes par voie d’eau à travers la France, par la Seine, l’Yonne, puis enfin la Saône et le Rhône. L’Yonne ne pouvant être remontée au-delà d’Auxerre, c’est là que les embarcations devaient être tirées de la rivière et transportées par la route jusqu’à Chalons-sur-Saône. 

C’est ainsi que les Auxerrois purent voir arriver, à partir du début avril 1943, ces vedettes dans le port d’Auxerre. Elles sont alors halées, à bras et à l’aide de cordages, sur le quai près de la passerelle grâce à un plan incliné, puis chargées sur d’énormes chariots à 48 roues, tirés à l’avant par trois tracteurs et poussés à l’arrière par quatre autres tracteurs. Le transfert par la route de ces embarcations imposantes (pesant une centaine de tonnes et longues d’environ 60 mètres) va entraîner d’importants travaux sur le trajet emprunté.

Passage d’une péniche de débarquement à Saint-Bris-le-Vineux. On peut observer les destructions de maisons, les débris amassés sur le côté de la route, et les nombreux spectateurs. Collection privée Famille G/ARORY.

Dès les premiers jours d’avril 1943, les autorités allemandes préviennent les autorités françaises des modifications du tracé routier et des démolitions prévues ; des ingénieurs français se rendent dans les localités désignées pour faire un état des lieux avant les démolitions et un ordre d’évacuation immédiate des immeubles à démolir est transmis aux maires des localités concernées. Les travaux de démolition et de correction du tracé routier (élargissement de la route, rectification des virages) sont menés par l’Organisation Todt, de façon très rapide dès le 7 ou le 8 avril. Après les premiers convois, de nouvelles démolitions seront opérées pour faciliter le passage de ces engins. Les Allemands avaient strictement interdit à la population de prendre des photos et Le Bourguignon reste muet sur cet événement ; mais dans les villages de nombreux habitants s’attroupèrent pour assister à ce défilé spectaculaire et d’assez nombreuses photos furent prises clandestinement. 

On peut suivre le trajet précis des vedettes et évaluer l’ampleur des destructions grâce aux demandes d’indemnisation qui furent adressées à l’administration française, dès la fin avril, par les propriétaires lésés. A Auxerre, l’Organisation Todt aménage un passage à niveau à la sortie sud de la gare et démolit quelques bâtiments pour rejoindre la RN 6. Les convois prennent ensuite la route de Saint-Bris-le-Vineux en direction d’Avallon, car le tunnel de Saint Moré interdit le passage de ces convois beaucoup trop volumineux. Les destructions les plus importantes concernent les villages de Saint-Bris-le-Vineux, Lichères, Nitry et surtout Joux-la-Ville (où plus d’une dizaine de maisons furent entièrement démolies et beaucoup d’autres en partie détruites), Lucy-le-Bois et Avallon (où l’Hôtel de l’Escargot et d’autres maisons furent totalement ou partiellement détruites). 

Le passage d’une péniche de débarquement sur la place Vauban à Avallon nécessite la destruction partielle d’un hôtel. Collection ARORY.

Il faut signaler enfin que des plaintes pour dégâts causés par le passage des convois (une pompe à essence arrachée à la sortie d’Auxerre, des façades endommagées à Cussy-les-Forges…) sont déposées jusqu’en juin, attestant de la persistance de ces convois au moins jusqu’à la fin du printemps. Selon un témoin de Joux-la-Ville, 57 embarcations (barges de débarquement ou vedettes) sont passées par cette localité pendant cette période. Il semble que ces convois, signalés à Londres, aient été bombardés par l’aviation alliée dans le sud de la France et aient été attaqués par la Résistance, mais pas sur le territoire icaunais. Si des promesses d’indemnisation avaient été faites en 1943 par l’Organisation Todt, en mars 1944 les autorités allemandes refusèrent de payer les indemnités réclamées (chiffrées à 6,5 millions de francs dans l’été 1943), arguant que ces destructions devaient être considérées selon eux comme des dommages d’occupation dont la charge incombait à l’Etat français. Les choses, malgré les protestations françaises, en restèrent là jusqu’au départ de l’occupant (sauf quelques indemnités versées directement par l’Organisation Todt à Saint Cyr-les-Colons et à Avallon). En 1945 les indemnités furent enfin versées aux propriétaires par les Services de la Reconstruction, pour un montant d’environ 4,8 millions de francs. 

Claude Delaselle

Sources : Arch. Départementales de l’Yonne, 1 W 616. Claude Delasselle, La marine allemande sur les routes de Bourgogne, Initiates file downloadYonne Mémoire, n° 30, novembre 2013.

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