Dialogues entre deux maquisards

Contexte : le 24 juin 1944, une importante attaque allemande est menée contre les maquis de l’Aillantais. Deux maquisards qui tentent de s’échapper font « connaissance ». Jean, étudiant parisien, est agent de liaison au sein du réseau Jean Marie Buckmaster alors que Roger, ouvrier métallo parisien est un maquisard FTP. Cette rencontre impromptue permet de comprendre les raisons de l’engagement dans la Résistance, des risques encourus mais aussi l’espoir d’une libération proche…

 

Roger (venant du bois de l'Etang de l'Ormery, siffle ) :« Hep par là mon gars, viens… D’où tu sors ? T’es pas de m’on groupe !»

Jean (déambulant dans les champs, essouflé) : « … De la Petite Ermite… c’est vers Perreux… Nous étions regroupés dans une ferme depuis un bon mois. Et puis ce matin très tôt, nous a dû évacuer d’urgence notre PC (poste de commandement) car des soldats allemands nous ont attaqué… Nous nous sommes tous dispersé à travers champs...»

Roger : « Merde ça alors, nous aussi et le même jour ! On était pourtant bien caché, à coté, tu vois, (il montre la direction). Là plus loin dans les bois, y a un étang, c’est l’Ormery. Mais les schleus ont fait du grabuge ! Ils tiraient de partout, lançant leur clebs à nos trousses. Roger, un des notre, est tombé en premier… Lacombe qui s’appelait, il venait d’arriver de l’Aube. » (silence) « Et puis Paul Charruet, notre Paulo, le chef du maquis, il a pris une bastos… On a pu l’évacuer mais il est salement blessé… Moi j’ai eu de la chance, j’ai pu me cacher dans les buissons et … » (Robert découvrant l’arme de Jean ) « Mais dis donc, c’est une Sten ça ! La mitraillette des Britons ! »

Jean : « Nous en avions tous au PC. Et pas que de Sten… En fait, mon groupe c’est le réseau Jean-Marie Buckmaster. Nous dépendons directement des services britanniques. Nous sommes nombreux en France à avoir rejoint ces réseaux. L’objectif de Churchill est de mettre le feu à toute l’Europe occupée… »

Roger : « Ouais ouais, ça va, tu vas quand même pas m’faire un cours d’histoire ! Moi c’que sais c’est que les Britons et les Gaullistes au Parti, avec les camarades, on s’en méfie… » (Changement de ton, plus amical) Sinon, t’es du coin ? »

Jean : « Oui, d’Aillant. Ce n’est pas très loin d’ici »

(ferme) Roger : « Merci mais j’connais Aillant ! C’est pas bien grand comme bled pourtant j’ai jamais croisé ta trombine….»

Jean : « En fait je suis étudiant à Paris à la Sorbonne où j’étudie les Sciences Politiques. J’aurais d’ailleurs dû passer ma maitrise ce mois-ci mais certains évènements m’en ont empêché… Mais je suis originaire d’Aillant où mes parents tiennent encore un commerce… »

(Rigolard) Roger : « Ben dis donc, t’es un intello, moi j’était plutôt un métallo ! Ah Paname…, c’est ma ville, j’y travaillais y a pas longtemps comme ouvrier dans un atelier du Canal St Martin. On créché à Belleville… Mais j’ai eu un pépin de santé et j’suis venu m’installer à Guerchy avec ma femme et mes deux filles. Et ça fait dix ans que j’y crèche ! Comme dirait Lux le toubib d’Aillant (ton précieux), « c’est tellement sain de respirer l’air de la campagne ! »

Jean : « Henri Lux ? C’est une connaissance de mes parents. Il est aussi membre de notre réseau. Il lui est arrivé de venir au PC pour soigner nos blessés. C’est grâce à lui que j’ai pu échapper au Service du Travail Obligatoire. Ce bon docteur Lux m’a mis en contact avec le directeur de l’office départemental du travail. Et muni d’un faux certificat médical, j’ai pu être exempté du travail en Allemagne… Ensuite, je suis rentré en contact en juillet 1943 avec Pierre Argoud, une autre connaissance de mes parents !»

Roger : « Argoud, j’ connais ! J’peux même te dire qu’il ne nous aime pas beaucoup ! Les « Cocos » voilà comment il nous appelait. N’empêche, lorsqu’il a réceptionné le parachutage du Four à Chaux en juillet 1943, et bien nous les camarades, on a récupéré une partie des armes et tout ça, tu vois mon gars, sans qu’il s’en aperçoive ! »

Jean : « Le pauvre Pierre Argoud. Il a été arrêté il y a quelques mois, en janvier 1944 à Dijon alors qu’il voulait rejoindre un maquis dans le Jura. Il sentait qu’il était menacé à Aillant. Il était très apprécié dans la région surtout dans le monde paysan. Il en a soigné des bêtes. Certains disent dit qu’il était capable de soulever un cheval ! Il est vrai que les gens exagèrent souvent ! Son arrestation a été un choc pour tous ces compagnons. Il aurait déporté en Allemagne. Sa femme Raymonde est effondrée, elle n’a plus de nouvelles… »

Roger : «Pour les camarades déportés, c’est pareil (songeur), aucune nouvelle, niet ! On dirait qu’ils se sont évanouis dans la nuit et le brouillard... (plus virulent) Mais depuis qu’Argoud est plus là, c’est le zouk dans votre réseau. Celui qui l’a remplacé, le dénommé Alain, passe son temps à bambocher, il a ses quartiers au café Félix, près de l’Eglise à Aillant. Et il n’est pas discret. L’autre jour, j’ai aperçu sa Juvaquatre, et sur la banquette arrière on pouvait apercevoir les mitraillettes !»

Jean : « C’est pour ça que notre responsable national est venu dans l’Yonne pour mettre de l’ordre dans le réseau. Alain était trop jeune et il s’est laissé déborder par son enthousiasme…. Le réseau s’est réorganisé avec l’implantation du PC à la Petite Ermite et le projet d’un gros maquis… Avec l’attaque d’aujourd’hui, je ne sais pas ce cela va donner… » (il coupe)

Roger : « Justement, parlons-en de votre maquis ! L’autre jour, pas très loin d’ici, j’ai croisé une dizaine de tes potes cachés dans le grenier d’une ferme au hameau des Sagourins sur la route de Perreux. On n’peut pas dire qu’ils étaient bien organisés. C’est pas comme nous les FTP.

Jean : « Vous faites donc partie des Francs Tireurs et Partisans ? »

Roger :« Et oui ! C’est Robert Loffroy de Guerchy qui m’a recruté au printemps 1943. 1943, c’était la belle année ! A Stalingrad, les camarades soviétiques avaient bien montré l’exemple. Alors moi aussi j’ai voulu me battre. Ensuite, j’ai intégré la compagnie FTP. nommée Rouget de Lisle, tu sais le gars de la Marseillaise. On était en forêt d’Othe. Robert Loffroy, je l’aime bien (arrêt) Avec son pote Pierre Houchot, il était un jeune militant communiste très actif avant la guerre. Maintenant, il est rentré en clandestinité. Avec son vélo, il va de planque en planque, sillonne tout le département pour implanter des maquis… C’est sûr, c’est pas un marrant ! Pour lui y a que les ordres du Parti qui comptent et attention, t’as pas intérêt à faire le mariolle sinon, tu te fais remonter les bretelles ! Les ordres, toujours les ordres, rien que les ordres ! »

Jean : « Pourquoi vous vous êtes installés dans le secteur alors que vous étiez en forêt d’Othe ? »

Roger : « Et bien dis donc, t’en poses toi des questions ! T’es de la Gestapo ? »

Jean (Un peu penaud) : « Non, non, je voulais savoir comment une compagnie FTP basée en forêt d’Othe pouvait se retrouver dans l’Aillantais, ce n’est pas vraiment le secteur que je sache… »

(Pas mécontent de son effet) Roger : « Pas faux ! J’t’explique. Après le débarquement du 6 juin, le Parti a décidé d’organiser des libérations anticipées, résultat, les Boches ont réagi violemment en ratissant la forêt d’Othe. Le coin était devenu trop dangereux. On a donc reçu l’ordre de rejoindre l’Avallonnais. J’te fais pas un dessin, c’est loin surtout pour des gars à pieds. Il fallait donc organiser un campement provisoire, histoire de reprendre des forces. Là encore, c’est Loffroy aidé d’un agriculteur du coin, un dénommé Excellence Franchis qui nous a trouvé l’Etang. »

(Vraiment intéressé) Jean : « Vous étiez nombreux dans ce maquis ? J’ai entendu dire que les maquis FTP étaient petits. »

Roger : « Tu rigoles ? J’peux te dire qu’on était plus d’une centaine à l’arrivé à l’Etang ! Mais après c’est devenu difficile. La nuit, dans les bois, on se les caille, et la journée, on a soif vu la chaleur de juin et pas question de piquer une tête dans l’étang hein ! Tu sais comment on l’appelle ? L’étang-Sec ! En plus on crève la dalle. D’accord y a le boulanger de la Ferté, Ménager qui nous ravitaille mais quand même... Et puis, on manque de tabac et je n’ te parle pas des filles… Enfin moi, j’suis marié. Mais pour les jeunes… donc résultat, certains sont partis. Mais heureusement que Paul a repris le commandement du maquis… Merde Paulo, p’être qui va clam’ser ! »

Jean : « Quel hasard, notre chef se nomme également « Paul » ! En fait, c’est un pseudonyme, son vrai nom est Henri Frager. Il s’est engagé en résistance dès l’hiver 1941, tout le monde ne peut pas en dire autant ! Car à ce moment, les résistants étaient minoritaires. « Paul » a préféré rejoindre les Anglais car il se méfiait des ambitions de Gaulle et de son passé d’avant guerre au sein d’Action française… »

(S’emballant) Roger : « Action Française, la ligue d’extrême droite ! Je me rappelle de la manifestation du 6 février 1934… On en a cassé du facho après la victoire du Front popu en 1936… »

Jean : « Henri Frager aimait à raconter comment il avait réussi à gagner la confiance des Britanniques pour monter son réseau et créer des dizaines d’antennes dans toute la France. Mais après le débarquement du 6 juin 1944, les Anglais lui ont demandé de ne garder qu’une seule antenne et il a choisi celle de l’Yonne. Sans doute car l’Yonne est proche de Paris où il réside. Nous sommes tous admiratifs de Mr « Paul ». Il faut dire qu’il impose dans son bel uniforme anglais et ses bottes en cuir. J’aime aussi beaucoup le major Thomson, un officier anglais qui m’a appris le maniement des armes. Et puis, j’ai aussi fait connaissance de « Nicole », l’agent de liaison, une charmante anglaise membre des FANY, qui parle un français remarquable ! »

Robert (taquin) : « Ouais, je vois, à toi la p’tite anglaise !»

Jean (confus) : « Non, non, tout ça était très sérieux. Nous étions une bonne trentaine dans la ferme de la Petite Ermite à suivre pendant plusieurs jours un entrainement militaire dispensé par le major Thompson. Et grâce aux armes réceptionnés lors des parachutages, nous avons pu organiser quelques sabotages sur la ligne du PLM entre Cézy et Joigny…»

Roger : « Moi j’en aurais bien fait péter des trains mais dans le groupe, on manquait d’explosifs ! »

(Au loin retentit un bruit de détonation )

Roger : « M… les Fritz, ils sont encore là ! Faut pas qu’ils nous choppent. Y a 4 jours, un un maquis FTP a été attaqué à Saint-Mards-en-Othe. Et bien les camarades ont tous été torturés. On les a retrouvés (insistant) énucléés ou emasculés... j'sais plus.. Bref tu sais ce que ça veut dire ? Ben, ça veut dire couper les couilles ! M’étonnerait qu’on t’apprenne ça à la Sorbonne… On n’est pas considéré comme des soldats, on est des terroristes. Donc pas de pitié pour nous ! D’ailleurs c’est pas des soldats allemands qui nous pourchassent mais ces chiens d’ukrainiens commandés par le traitre Vlassov»

Jean : « Je ne veux pas être prisonnier. (Silence) Jamais je n’aurais le courage de résister à la torture et encore moins à la déportation. Autant se tirer une balle dans la tête… »

Roger : « Dis pas de conneries gamin, t’as encore de longues années à vivre.. Si t’es rentré en Résistance, c’est pas pour mourir mais bien avec l’espoir de vivre des jours meilleurs. T’as entendu parler de la charte du Conseil national de la Résistance ? Il est question de refonder une nouvelle France plus juste et plus égalitaire ! Dehors les Boches et à bas les traitres Pétain,Laval ! » (Pause) Au fait comment tu t’appelles ? Moi c’est Roger. »

Jean : « Je m’appelle Jean »

Roger : « Et t’as quel âge mon Jean ? »

Jean : « Je vais avoir 21 ans fin août. J’espère les fêter… »

Roger : « Mais bien sûr que tu vas le fêter ! En même temps que la Libération ! Tu pourras défiler en héros, pense à toute cette foule enivrante, toutes ces filles qui voudront te toucher, t’embrasser ! 21 ans, c’est le bel âge, je pense à ma grande… En fait, tu pourrais être mon fils… »

(Une deuxième détonation encore plus forte éclate)

Roger : « Cette fois-ci, on peut dire que les Fritz se rapprochent. Faudrait pas qu’ils nous encerclent. Va falloir déguerpir mon gars et vite ! Sinon on est bon pour le peloton ! Bonne chance ! Mais avant, tiens, au cas où j’serais arrêté. C’est une lettre, tu la donneras à Thérèse, c’est ma fille…»

Thierry Roblin mai 2013

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